5h30, l’alarme sonne, le réveil dans l’hôtel à Évian-les-Bains est moins pénible que je ne le croyais, je suis prêt pour cette aventure. Le temps de préparer les derniers détails du sac et nous prenons la voiture vers le départ du GR5 à Saint-Gingolph sur le bord du lac Léman.
Avant de débuter réellement, petite parenthèse sur un élément primordial de cette traversée: l'équipement! Je pars pour ces premiers jours avec mon matériel de refuge:
Manteau et pantalon imperméables
Cache cou
Gants
Manteau isolé
Couverture et un bivouac de survie
Lampe frontale
Vêtements de rechange
Brosse à dents
Cadeau précieux de mon ami Benjamin qui me prête son GPS InReach de Garmin pour que ma famille et mes amis puissent me suivre.
Ce projet, j’y pense depuis 2 ans. Concrètement, l’idée du GR5 s’est présentée il y a un an, mais j’avais cette idée d’une longue traversée soutenue depuis mon échec en 2022. J’avais tenté à l’époque la traversée du Vercors, le GR93, en autonomie complète et en cinq jours. Trop peu d'entraînement, mauvaise préparation, trop de matériel, solitude, manque d’eau, mon genou qui explose en voulant me sauver d’un orage sur une crête. Les raisons sont nombreuses pour expliquer cet échec. Je voulais donc me donner un projet pour prendre ma revanche. Un projet où la solitude ne serait pas un problème. Un GR très fréquenté et ma sœur qui m’accompagne en voiture pour me retrouver à la fin des étapes. Un défi qui repousserait mes limites et où l'entraînement se devrait d’être bon. Mon expérience sur le GR93 m’a appris ce que j’aimais, ce que je n’aimais pas, certaines bonnes pratiques et des démarches à suivre pour bien réaliser une telle aventure. C’est donc de là que vient cette idée de traverser le GR5 en entier en 12 jours. Au fil du temps, les distances des étapes ont changé, rechangé et encore rechangé pour enfin donner le résultat final, un peu moins de 600 km et 30 000 m de D+.
Entre-temps, mon père et mon frère se sont ajoutés au projet, pour les cinq premières étapes en refuge. Des étapes en refuge se sont avérées une nécessité vue la difficulté d'accès à certains endroits en voiture. Je dormirai donc cinq nuits en refuge et le reste en tente. Voyant ma sœur, mon frère et mon père se joindre au projet, ma mère ne pouvait quand même pas rester derrière, elle s’est donc ajoutée au groupe de soutien avec ma soeur. À une semaine du départ, j’arrive chez mes grands-parents où je passerai la semaine pour récupérer du décalage horaire et prendre un peu de poids. L’équipe était prête, l'entraînement avait été presque parfait, je me sentais plus que prêt après une bonne performance au QMT110 le mois précédent. Il ne restait plus qu’à mettre un pied devant l’autre.
Le départ de la première étape se fait de façon légère, sans stress, sans appréhension. La température est bonne, la distance à faire n’est pas trop grande, nous pouvons prendre notre temps et profiter de ce début d’aventure. Le petit frère Loïc et mon père m’accompagnent pour les cinq premières étapes de l’aventure. Une belle première ascension nous amène déjà au-delà des chaînes de montagnes, c’est le temps de dire au revoir au lac Léman, direction Méditerranée. Nos premières vaches, nos premières chèvres, l’univers de la haute montagne s’ouvre devant nos yeux, j’adore. Passage par la Chapelle d’Abondance, le premier orage pointe son nez. Finalement, il ne nous touchera que très peu, un peu de pluie, mais rien d’intense. Ce sera, le seul orage de toute l’aventure. Les kilomètres s’enchaînent et se ressemblent, nous arrivons au bout de 9h40 au refuge de Chésery côté Suisse. Le petit lac à côté du refuge permet à Loïc et moi de nous baigner un peu. Le repas du soir est très bon même s’il est un peu petit. Nous rencontrons des marcheurs qui s’étonnent du défi que nous entreprenons. C’est déjà l’heure de se coucher, une première journée de complétée, plus que 11.
Départ de Saint-Gingolph, jour 1: 39.82 km / 3 403m D+
Le départ de la deuxième journée se fait vers 7h. Après un pain sec et du miel, c’est une belle descente pour commencer, les paysages sont magnifiques. Nous rencontrons notre première section très technique : des racines, des échelles, sommes-nous au Québec ? Un premier ravitaillement de Manue et maman, la beauté de mon idée est l’aide apportée durant les étapes. Petit changement de vêtements, regarnir les sacs de nourriture et liste de courses pour les prochains jours. Mes pieds et ceux de Loïc commencent déjà à faire très mal. La plante du pied qui fait souffrir, ce n’est pas fameux, mais au moins je n’ai pas d’ampoule. Un manque de compréhension entre l’équipe de soutien et nous nous fait suivre les indications du mauvais refuge. Par chance, nous étions sur le bon itinéraire, mais le refuge que nous devions rejoindre se trouvait 7 kilomètres plus loin que celui que nous suivions sur les indications. Dans les Alpes, les refuges sont indiqués non par le nombre de kilomètres restant pour les atteindre, mais par le nombre d’heures de marche qu’il reste. Nous nous sommes donc basés sur des estimations de temps beaucoup plus permissives que prévu. Une fois arrivés au mauvais refuge (le refuge Anterne), nous avons réalisé l’erreur.
Il était environ 17h30. En général, les repas dans les refuges sont servis vers 19h. Je décide donc d’accélérer, laissant Loïc qui souffrait vraiment beaucoup des pieds et mon père derrière pour essayer d’arriver à temps au refuge et réserver nos repas. Un bon effort soutenu comme on les aime à 2200m d’altitude pour arriver au refuge Moëde-Anterne vers 18h10. Surprise, le repas est servi à 18h30 dans ce refuge, une chance que j’ai accéléré, j’ai pu réserver les places du repas. Papa et Loïc arriveront tout juste pour 18h30. Une bonne fondue savoyarde et un coucher de soleil sur le Mont-Blanc, c’est beau et bon les Alpes.
Jour 2: 45.71 km / 2525m D+
C’est le premier départ dans l'obscurité, 4h50 à la frontale, nous amorçons la descente qui nous amène au Brévent. Non, mais quelle montée ce Brévent ! Ça en valait tout de même le coup, la vue sur le Mont Blanc au sommet… wow. La descente, en revanche, n'en parlons pas, tellement longue, pénible, lente, technique, je n’en pouvais plus.
Au sommet du Brévent, vue sur le Mont-Blanc
Nous arrivons aux Houches pour un deuxième ravitaillement de l’équipe de soutien extraordinaire. Loïc décide de s’arrêter ici pour aujourd’hui, ses pieds le font trop souffrir et il n’arrivait plus à avancer suffisamment vite. Puisque c’était une journée très longue et que nous retrouvions l’équipe de soutien le soir au refuge, nous vidons nos sacs de refuge pour garder uniquement le matériel de survie et de la nourriture pour avancer. Petit départ en course sur les portions de plat dans les Houches et c’est reparti pour monter. Monter le col du Bonhomme, une interminable montée, où tu ne vois jamais la fin, sous le gros soleil de l’après-midi, ce sont des heures pénibles. Mes pieds me torturent, je dois souvent prendre des pauses. Encore le même problème, la plante des pieds qui tire, mais s’ajoutent maintenant les releveurs des orteils (J’en ai en fait aucune idée, mais c’est une théorie de Richard a posteriori) dans les douleurs qui me torturent. Après des heures d’ascension, nous arrivons sur une belle crête et amorçons la descente vers le refuge du Plan de la Lai. Une descente à l’image de la journée, interminable, les soupirs, la fatigue, papa et moi sommes vraiment tannés. L'arrivée au refuge vers 19h, c’est notre plus longue journée de tout le voyage en termes de temps. La douche, le bon repas, voir l’équipe de soutien, ça fait vraiment du bien.
Jour 3: 57.02 km / 3 542m D+
C’est un nouveau réveil vers 4h avec du pain sec et du miel, surprise aujourd’hui, il y avait un œuf en plus. Mon père et moi quittons un peu avant 5h pour attaquer une nouvelle journée avec plus de 3000 m de D+. Bienvenue au pays de François d’Haene, le Beaufortain. La quatrième journée se terminait dans un refuge aussi, puisque Loïc avait décidé de ne pas prendre le départ aujourd’hui, nous nous sommes entendus pour le retrouver au refuge le soir. C’est une journée plutôt tranquille avec mon père, on marche doucement, mais on avance. On s’arrête dans une petite épicerie pour se ravitailler, ce qui fait complètement vriller le GPS de ma montre, cela prendra une petite heure à la montre et à nous pour se retrouver sur l’itinéraire. Comme d’habitude, les pieds commencent à me faire souffrir après 3h30-4h. Les chevilles commencent elles aussi à faire mal. Ça devient réellement un problème. Je fais donc un petit message vocal à un physio ultra-athlète que j’apprécie et admire, Richard Turgeon, pour qu’il me donne des conseils pour traiter mes douleurs. N’ayant pas de nouvelles avant la fin de la journée, j’amène mes pieds douloureux jusqu’en haut de la dernière ascension où se trouve le refuge. Arrivé au refuge, je suis complètement vidé physiquement et mentalement après avoir toléré la douleur toute la journée. Je décide de faire une petite sieste en attendant Loïc.
Réveil rapide, mon père vient me voir, nous avons perdu Loïc. Un peu de panique, comment ça, nous avons perdu Loïc ? Il serait passé au refuge sans avoir vérifié si nous étions arrivés et aurait continué à descendre pour nous retrouver. Le problème est que nous ne l’avons jamais vu dans notre montée. Moment de panique où nous essayons de le rejoindre avec le très peu de réseau que nous avions dans un mètre carré. Après plusieurs appels et des minutes à me dire WTF, il est où mon frère ? je le vois descendre à toute vitesse d’un chemin qui n’avait aucun rapport avec l’itinéraire. Il avait fait 6 kilomètres sur le mauvais chemin avant de se dire qu’il n’était peut-être pas sur le bon chemin et faire demi-tour jusqu’au refuge.
Les hommes Forge à nouveau réunis, nous pouvons passer à table. Un repas qui est complètement horrible, désolé pour le refuge, mais la nourriture n’était presque pas comestible. De plus, les doutes m’envahissent, l’événement avec mon frère a créé beaucoup de stress, je remets en question l’aventure, mes douleurs sèment de grands doutes en moi. Est-ce que je prends le jour 6 pour me reposer ? C’est sûr que je coupe la 12e étape si je m’y rends même. Pour ajouter à cela, on annonce des orages et des températures caniculaires le lendemain. De toute façon, je n’y peux rien quant à la météo. En revanche, lors d’une discussion à table avec des randonneuses, j’expliquais mon problème de pied, et l'une d'elles me conseilla de mettre des chaussettes plus minces, ce qui devrait aider. Sur le coup, je me suis dit que l’épaisseur de mes chaussettes n’avait aucune conséquence sur les douleurs. Quelques jours plus tard, j’écouterais ce conseil, ce qui mettra fin, à l’aide de quelques autres astuces, au mal de pied qui me faisait tant souffrir. Merci chère randonneuse. Je mets mon alarme pour 4h le lendemain et je me couche, en espérant avoir une bonne nuit de sommeil.
Jour 4: 48.71km / 3163m D+
C’est déjà la dernière journée pour Loïc et mon père. Un réveil encore très tôt et un déjeuner toujours aussi bon : pain sec et miel. Petite différence par rapport aux autres matins, aujourd’hui j’ai pris des antidouleurs pour mes pieds. Entre-temps, mon ami Ben m’a également dit que, lors de son aventure dans les Pyrénées, il avait eu le même problème de douleurs aux pieds ; sa solution : les mettre dans l’eau glacée des ruisseaux. Les pieds dégonflaient et ça atténuait les douleurs intenses. Je me suis dit que j’allais essayer les pilules et le nouveau truc de Ben. De plus, Richard m’avait répondu qu’un ruban de kinésiologie serait une bonne idée pour solidifier mes chevilles si elles venaient à faire trop mal. Je ferais le choix, par la suite, de ne rien mettre sur mes chevilles puisque les douleurs diminuaient par elle-même. La descente vers Tignes se fait sous le couvert des étoiles. Un dernier ravito de l’équipe de soutien avec ma mère. Je change définitivement de sac pour mon Salomon 12L ; à partir de maintenant, Manue m’amènera toujours ce dont j’ai besoin. Quelle bonne idée j’ai eue, mais surtout quelle chance d’avoir une famille aussi solidaire.
Un beau passage au col de la Leisse à 2758m d’altitude. Des paysages magnifiques qui donnent envie de mettre la bande sonore de Narnia. Nous rencontrons des troupeaux de moutons où les patous nous escortent comme des présidents. Par chance, les patous ont été très sympathiques avec nous. Les jambes de mon père ne lui permettent plus de courir, les derniers kilomètres sont plutôt longs. Un dernier moment de souffrance entre forge avant qu’ils me quittent pour de bon. Mention spéciale pour Loïc qui repoussait à chaque étape complétée sa plus grande distance parcouru en un effort. Nous arrivons presque au refuge où Manue m’attend avec la tente, c’est à ce moment que je les quitte.
Ils prennent la route avec maman pour retourner à Lyon ; moi, j’ai quelques centaines de mètres à faire pour retrouver Manue et commencer mon aventure solo. Des au revoir un peu émotifs. Je me console en me disant que de toute façon, je retrouve Manue au refuge du Plan Sec, un très beau refuge où l’accueil est excellent. On mange très bien, enfin de la viande, je suis réellement heureux. Demain, c’est la plus petite étape de l’aventure, aucune raison de se réveiller tôt, mais je me couche quand même très tôt pour avoir le plus de sommeil possible. Finalement, puisque la journée s’était bien déroulée, j’ai pris la décision de ne pas me reposer le jour 6 et de continuer l’aventure comme prévu.
Jour 5: 52.77km / 2364m D+
Un réveil à 6h, ça fait du bien. Le temps de ranger la tente et de faire mon sac, je peux me diriger vers la salle à manger du refuge pour déjeuner. Le classique pain sec et miel, puis je prends la direction de la voiture avec Manue. À trente minutes de marche, je peux y faire le plein de nourriture pour affronter la journée à venir. Cette journée, je l’avais prévue comme étant une journée de repos : trente kilomètres, je pouvais les faire à un rythme tranquille et ne pas me prendre la tête. Ça faisait du bien au mental de voir qu’il ne me restait pas plus de 27 km à faire lorsque j’étais à la voiture. Le début de l’étape était particulièrement beau, une belle descente vers Modane sous un soleil pas trop chaud où j’ai pu courir et deux éclairs au café: ce voyage est vraiment bien.
Les pieds commencent à me faire assez mal encore, je décide donc d’essayer le truc que Ben m’avait donné, l’eau glacée. Même pas cinq secondes dans l’eau, mes pieds brûlaient. Une petite douleur nécessaire pour que mes pieds dégonflent. La douleur a vraiment diminué, Ben avait raison. La suite de l’étape n’est qu’une montée très progressive, pas très intéressante. Perdu dans mes idées, je préparais les plats que je voulais manger à la Backyard à laquelle je suis inscrit en septembre. Tout d’un coup, j’entends mon prénom. Bizarre, je me retourne, c’est Manue qui arrive d’un autre sentier. Je ne pensais pas la retrouver si tôt avant le refuge. Elle me rejoignait au refuge avec mes vêtements pour dormir et de la nourriture pour le lendemain. Je termine donc l’étape en marchant avec Manue jusqu’au refuge du Mont Thabor, un très beau refuge à 2500 m d’altitude. Ce fut une journée relaxante, le déplacement s’est terminé très tôt, vers 15h ; j’ai donc eu beaucoup de temps pour me reposer. Par chance, il y avait du réseau à ce refuge ; j’ai pu prendre des nouvelles et en donner. Le plus important quand même : publier les étapes sur Strava. Le repas du soir comprend encore de la viande ; je suis comblé. Cette fois-ci, je ne prends pas de déjeuner pour le lendemain, un peu tanné du pain sec et je voulais partir rapidement : il y avait beaucoup de kilomètres à parcourir le lendemain.
Jour 6: 31.57km / 1961m D+
De la fièvre, j’en ai fait toutes les nuits depuis le départ. Est-ce l’altitude ? Mon corps qui récupère ? Les coups de soleil ? Dans tous les cas, cette nuit n’est pas une exception, les rêves bizarres et les sueurs sont finalement interrompus lorsque ma montre sonne à 5h. Le lever du soleil à travers les montagnes était… splendide.
Je commence par une belle descente, rien de technique, c’est la première fois que je peux réellement courir depuis le début de l’aventure, comme ça me fait du bien. Puis une longue ascension jusqu’au col de Lauze où j’ai mangé un excellent sandwich. Les sandwichs, c’est un peu ma raison d’avancer : n’importe quel mélange de viande et de fromage (sauf du bleu, beurk) dans une baguette, et je courrais jusqu’au bout du monde. En direction de Briançon, je commence à apercevoir les châteaux. Ils sont beaux, c’est motivant, mais pas tant que ça. Honnêtement, je commence à être sérieusement tanné d’avancer. Encore aujourd’hui, j’ai mis mes pieds dans l’eau froide ; au moins, ça, ça aide un peu. Mais les doutes sur les douleurs qui apparaissent dans mes jambes, la fatigue et le désir d’abandonner, ça ça ne se règle pas avec de l’eau froide. J’avance tout de même ; de toute façon, il ne reste que 5 kilomètres et j’ai terminé la journée. Je m’interdis de penser à l’aventure dans son entièreté : c’est beaucoup trop démotivant. Je dois avouer quand même que la 12e étape fait souvent apparition dans ma tête et me paraît loin et difficile à accomplir. Bon, je termine dans la foule en plein milieu de la forteresse de Briançon. Manue arrive de peine et de misère à se frayer un chemin dans la foule avec la voiture pour me récupérer. La chaleur est suffocante, mais c’est terminé, direction le camping. Ce n’est pas le plus beau camping que j’ai visité, probablement un des pires, mais au moins il y a des douches et de l’électricité. Les pâtes sauce tomate et saucisson rentre au poste.
Jour 7: 48.55km / 1755m D+
Okay, le mal de pied commence à disparaître. Est-ce que ce sont les antidouleurs, qui sont devenus routiniers, qui fonctionnent ou est-ce simplement mon corps qui s’adapte à l’effort produit chaque jour? Je commence sous la pluie, directement dans une ascension pour bien me réchauffer. Je monte doucement, le cerveau vide si tôt dans la journée. Puis un bruit de cloche retentit plus haut dans le sentier. Des vaches ! J’aime bien les meuh meuh. Il est un peu bizarre qu’un troupeau de vaches se trouve au beau milieu d’un sentier aussi étroit que celui où j’évoluais depuis déjà une heure. Elles me regardent, un regard qui ne ressemble pas à celui que les vaches laitières avaient dans les alpages plus tôt dans l’aventure. Je continue à monter, rien d’inquiétant. Plus je m’approche d’elles, plus une vache en particulier grognent, bon ça suffit, tu peux dégager du chemin pour que j’avance, s’il te plaît. Je devais me trouver à 10 mètres d’elle et elle décide de me charger à toute vitesse. Je me lance directement dans le fossé, j’en perds mes lunettes de soleil. En me relevant, caché derrière les broussailles que la vache ne peut pénétrer, j’aperçois un petit veau au sol qui dormait. La vache a dû vouloir défendre son enfant, c’est compréhensible. Puisque je ne savais pas s’il y avait d’autres veaux dans les parages, je décide d’éviter le troupeau en passant par les broussailles. Peut-être pas ma meilleure idée, mais au moins les vaches restaient loin de moi. Elles avaient toutes l’air plutôt fâchées. Bon, je me remets de cette petite mésaventure avec les bovins et j’avance.
Aujourd’hui, je passe dans le Queyras, une région magnifique où je suis déjà venu en vacances avec ma famille. Je passe par le magnifique Château Queyras. La journée avance bien, la bonne humeur est présente, les pieds ne font pas trop mal, la fatigue est gérable. Un panneau à la sortie du village où se trouve le château indique Ceillac 14,5 km (c’est l’endroit où je termine), mais aussi Col Fromage 9,9 km ; j’espère vraiment que je passe par ce col. La musique s’invite de plus en plus dans mes étapes, j’avoue que j’ai besoin d’écouter certaines chansons de temps à autre pour casser la solitude du GR. C’est assez marquant la différence d’achalandage entre les Alpes du Nord et du Sud : ici, je suis seul. Une chance que j’ai appris du GR93 et j’avais une solution pour la solitude : je sais que même si je passe la journée seul, je retrouverai un visage familier à la fin de la journée. Un passage au col Fromage qui me fait bien sourire, puis la descente vers Ceillac, mon point d’arrivée pour la journée. Je retrouve Manue, un reste de pizza de son dîner sur la banquette arrière de la voiture, que je dévore immédiatement. J’arrive assez tôt finalement, vers 15h ; nous prenons le temps d’aller visiter le petit village, d’acheter de petits souvenirs et du gaz pour le réchaud. La journée était bien réussie et j’ose mentionner aux gars de l’équipe les trois sports que le défi est moins dur que je l’imaginais. Une phrase qui, je crois, me portera préjudice plus tard. Pourtant, sur le moment, je le crois réellement. Ensuite, c’est direction le camping où nous aurons seulement le temps de manger le repas du soir avant qu’il ne pleuve toute la soirée et une bonne partie de la nuit.
Jour 8: 40.12km / 2536m D+
Un départ un peu plus tardif que d’habitude me permet de voir des gens sur la première ascension. Bon, mon côté compétiteur est sorti, je faisais la course avec chaque marcheur que je voyais, les dépassant inutilement trop vite. J’arrive à la moitié de la montée un peu
plus essoufflé que normalement, mais bon, on s’en fout, ça fait du bien au mental. On annonçait des orages aujourd’hui, puisque je devais passer un col relativement haut en avant-midi, c’était un peu une course contre la météo.
Finalement, mon accélération en début de journée aura payé, je n’ai pas rencontré d’orage. Un peu de pluie sur la descente, mais rien de vraiment marquant. La journée est plutôt ordinaire, rien de différent, mon état mental reste stable, les remises en question sont toujours là, mais le corps commence réellement à s’adapter. Je croise les ruines d’anciennes baraques militaires dans le dernier col, c’est drôle de se dire que des hommes restaient ici pendant des semaines, voire des mois, dans des habitations à si haute altitude. Je termine par une descente interminable vers le camping où je me douche et prends un bon repas. Un nouvel excellent sandwich acheté par Manue, décidément, le sandwich est vraiment l’élément clé de cette aventure.
Jour 9: 37.52km / 2331m D+
L’étape 10, j’y suis arrivé. J’y pensais beaucoup parce que c’était la plus longue journée du deuxième bloc de l’aventure, excepté bien sûr la dernière étape. Je pars à la frontale, les premiers kilomètres se font sur une route, je peux marcher rapidement, mais mes douleurs aux jambes m’empêchent de courir, pour l’instant. Le soleil se lève tranquillement pour me faire découvrir une magnifique vallée. Comme d’habitude, je me sens très bien sur les premiers kilomètres, et je me dis que je vais faire la dernière étape au complet. Je retrouve des ruines de baraques en haut de la deuxième ascension, mais cette fois-ci c’est un petit village, je prends le temps de le visiter un peu et de lire les panneaux d'information.
Je regarde ma montre, 35 km restants, le choc mental, c’est vraiment long. Le sentiment est bizarre, j’ai déjà vécu de longues courses, des moments longs, des doutes durant mes entrainements ou mes courses, mais aujourd’hui le mental s’effondre. J’essaie de me motiver, il ne reste que deux jours, les douleurs disparaissent de plus en plus, je mets de la musique, ça ne fonctionne que très peu. Les paysages sont dépourvus d'intérêt, j’ai soif, je suis fatigué, j’ai faim. Pourquoi ai-je voulu faire ça? J’arrête. C’est aujourd’hui que je m’avoue vaincu. Je vois Manue dans un village, je la vois, mais je ne comprends pas. Je lui parle, un peu de façon inconsciente. C’est un moment que je ne comprends toujours pas en écrivant ces mots. Je suis en autopilote. Je ne lui fais pas mention de mon désir d’abandonner, peut-être mon subconscient qui me protège de mon propre échec? Je lui dis simplement que c’est long, c’est vraiment long. Puis je repars, sur la route, les chevilles qui souffrent. Allez, il n'en reste plus beaucoup et c’est fini pour moi. À un moment durant la dernière très longue montée de la journée, je me retourne un instant et je vois des marcheurs avec de gros sacs me rattraper. Des marcheurs qui me rattrapent? Sans hésiter même une seconde, le compétiteur en moi prend le contrôle, j’appuie sur les bâtons, les jambes se lèvent, le cœur accélère, les gouttes de sueurs glissent sur mon visage, les lacets s’enchaînent sans effort. Mon corps se réveille, j’ai retrouvé l'envie d’avancer. Je passe 20 minutes dans cet effort. Arrivé à la station de ski qui marquait les trois quarts de l’ascension, je suis complètement vidé, mais les marcheurs, ils sont bien loin. Le reste de l’étape sera consacré à essayer de survivre jusqu’au petit village de Roya où Manue m’attend. Cependant, cet effort, court comme il fut, sauva mon aventure. Il me donna le goût de continuer, il me rappelle le bonheur que c’est de pousser son corps. Il me donne les sensations d’accomplissement qu’il me manquait dues à la lenteur de mes étapes. Oui, les étapes étaient difficiles, mais il manquait cette sensation de bien-être que l’on ressent après une session d’intervalles plus que difficile. J’arrive à Roya détruit physiquement, mais déterminé à faire les deux dernières étapes de ce foutu voyage…
Jour 10: 50.77km / 2693m D+
Bon, ça fait quelques jours que je ne fais plus de fièvre durant la nuit, les pieds vont de mieux en mieux, les chevilles et les douleurs dans les jambes sont gérées par les antidouleurs. Le matin à Roya est doux, je prends le temps de bien manger, des compotes de pommes et des biscuits Petit Prince. Un petit chien vient déjeuner avec moi, la journée s’annonce bonne. Aujourd’hui, je traverse le parc naturel du Mercantour. Ses paysages magnifiques m’ont été vantés par les marcheurs du GR5 tout au long de l’aventure. J’ai vraiment hâte de voir. Finalement, les marcheurs avaient raison, non, mais quel paysage, wow.
Pour profiter au maximum des paysages, j’ai rajouté la musique du film Princesse Mononoké sur mon téléphone. C’est spécial de courir dans ces plaines en écoutant The Legend of Ashitaka. Je rencontre des coureurs qui font le GR5 en courant, mais dans l’autre sens. On échange quelques instants sur les plans et la logistique de nos aventures, avant de se souhaiter bon courage et de continuer. Cependant, pour faire honneur à la tradition des étapes, les bonnes sensations s’arrêtent vers le milieu de l’étape, pour faire place à la misère, à la chaleur absurde des vallées et à la fatigue. Je n’avais pas prévu suffisamment de nourriture aujourd’hui et j’explose complètement. Les 20 derniers kilomètres sont tous à découvert, sous le soleil cuisant d’août.
Le coup de chaleur me frappe de plein fouet, je suis à 12 kilomètres de la fin, sans eau et avec quelques gummy bears. Je m’assois dans un petit endroit d’ombre que je trouve par chance. Je mange toutes les calories qui se trouvent dans ma veste de course, j’essaie de prendre tous les gels qu’il reste dans les emballages, je suis un peu en crise. Coucher sur le sentier, j’attends que le sucre rapide active mon corps en crise. Cette pause me fait quand même du bien, je me dis que c’est normal, rendu à ce stade de l’aventure, avec les erreurs que j’ai faites, de me sentir comme ça. C’est ma faute et tant pis. Je décide de me relever, tant que j’avance, peu importe la vitesse, c’est plus rapide que de rester coucher. Je rencontre un habitant du village qui me dit à quel point je suis courageux de courir à cette température. Je lui souris. Dans ma tête, je me dis que c’est plus de la stupidité et de l’entêtement que du courage. Tranquillement, mais sûrement, je m’approche d’un village. Plus je m’approche d’un ravitaillement possible en eau, plus je vois des nuages noirs s’approcher de ma position. Finalement, j’arrive au village, je remplis mes bouteilles, quel soulagement. Je quitte le village tout de suite pour essayer de battre l’orage, il ne me reste que 5 km. Descente rapide, j’arrive au bas de la dernière ascension, 1 km et 250 m de dénivelé positif. Non, mais c’est quoi ça? Les nuages noirs sont au-dessus de ma tête, mais rien ne tombe. Je me dis que je suis chanceux, mais pas question de le dire à voix haute, je suis superstitieux et depuis que j’ai dit que c’était facile au jour 8, ma vie est un enfer. Je dépasse des marcheurs du GR5 qui sont aussi surpris que moi de voir des pourcentages si élevés à la fin de l’étape. Les 300 derniers mètres du parcours avaient quand même 70 m de dénivelé positif, une bonne pente de 23 % pour se casser les jambes. J’arrive à la voiture avec Manue, complètement détruit. Je me remets du coup de chaleur en mangeant un excellent sandwich et en buvant un Coca Cola, la boisson officielle de ma récupération à chaque étape. Malgré les épreuves surmontées aujourd’hui, je dis tout de suite à Manue que demain, je la fais au complet cette étape. Direction le camping, je prépare mon sac en conséquence. Je demande à ChatGPT de me dire mes besoins caloriques pour l’étape du lendemain, pas question d’exploser encore. La demande se fait selon certains paramètres établis, la fréquence à laquelle je voulais manger, le type de nutrition, le temps estimé de l’étape, etc. On mangera le dernier souper sous la pluie incessante. Beaucoup de randonneurs sont découragés par la météo des derniers jours, pourtant, moi, je n’ai eu que du beau soleil durant les étapes. Un ange gardien? Le bonheur de posséder une voiture qui me suit : lorsqu’il pleut le soir, je suis à l’abri et au sec. Bon, ça suffit de discuter avec les randonneurs, demain c’est ma dernière étape et j’ai hâte. Un beau projet qui se termine enfin.
Jour 11: 42.20km / 2249m D+
La dernière journée, une journée que je dois avouer, j’attendais depuis un certain temps. Les doutes sur cette journée ont pris beaucoup de place dans ma tête durant les dernières étapes. Est-ce que je coupe? Ce n’est pas vraiment grave finalement de faire 30 km plutôt que 62 km. Si je coupe, c’est quand même compliqué d’un point de vue logistique, de m’amener au prochain village… Mais j’ai tellement mal aux pieds. Quelle idée ce défi… 30 km si je coupe, c’est trop petit ça, ce n’est pas un vrai défi. Et si je la faisais au complet? J’ai des antidouleurs dans le pire des cas. Ce n’est pas un vrai défi si je ne vais pas jusqu’au bout. Cette chaîne de réflexion, je l’ai eue chaque jour, depuis l’étape 7. Le matin, frais et sans douleur, les 62 km de la dernière étape paraissaient facilement faisables. L’après-midi, les pieds, le soleil, la fatigue me faisaient douter de pouvoir faire une telle étape. J’ai finalement toujours repoussé en me disant; voyons voir ce que mon corps me dit le soir de la 11e étape. Le soir de la 11e étape, ma décision était prise, je me suis dit « Fuck it ». Cette nuit, je n’ai pas beaucoup dormi, l’appréhension de l’étape peut-être, la joie que ce soit la dernière journée? C’est donc à 3h53 que je démarre ma montre pour commencer la dernière étape de cette aventure. Le sac rempli de gels, de pâtes de fruits et de bonbons, j’ai choisi de m’alimenter comme une course de trail normale, histoire d’avoir au moins l’énergie de continuer si le corps décidait de me lâcher. Le InReach bien rangé à côté des antidouleurs et des pilules de caféine prêt à intervenir à toute faiblesse du corps, je m’élance sous le ciel étoilé dans la dernière ascension de 1000 m d+. En passant par des sentiers un peu bizarres, dus à des glissements de terrain, l’itinéraire du GR5 était dévié. Vraiment rien de très rassurant à 4h30 du matin, pas très réveillé et dans le noir complet.
J’arrive au sommet et c’est magnifique, d’un côté un sublime orage fait rage très loin, des éclairs chaque seconde éclairent la nuit, de l’autre côté, j’aperçois Nice, ses lumières qui illuminent le ciel, je me dis ; « wow c’est vraiment bientôt la fin ». Les 25 premiers kilomètres sont plutôt monotones, des sentiers forestiers, des routes pavées et de gravier, très roulants, mais pas très amusants. J’avance vite, plus vite que je ne l’aurais espéré, mes jambes répondent bien, les chevilles ne disent rien, mes pieds? La douleur n’est plus là. Mer en vue, je regarde ma montre, il me reste 42 kilomètres. J’arrive à Utelle, il me reste 35 km, je suis motivé, le soleil levé, les paysages sont beaux, j’avance. Je rencontre des gens, le sourire aux lèvres, bonjour, et je cours, je n’arrête pas de courir, je ne comprends pas, pourquoi mon corps me laisse courir maintenant? Est-ce que c’est parce que je veux vraiment finir? La nutrition a-t-elle vraiment un si gros impact? Les questions s’enchaînent autant que les kilomètres s’ajoutent sur ma montre.
J’avais souvent vu dans des vidéos du GR5 le choc que les gens subissent en arrivant en ville. Trop de gens, personne ne dit bonjour, les voitures, le bruit. Je croyais que ça n'allait pas m’affecter. Au contraire, le passage des voitures et les longues routes marquent une cassure brutale avec les chemins tranquilles des montagnes. Je marche un peu, je cours, j’essaie d’avancer. Et là le mur, je mange la moitié d’un sandwich. Le pain me déshydrate complètement. Les points d’eau sont inexistants, j’arrive en banlieue niçoise, les fontaines publiques ne sont plus disponibles, j’ai soif et j’ai du mal à avancer. Je regarde ma montre, 15 km restants pff c’est quoi 15 km? Ben m’écrit et me motive, la famille aussi, les émotions sont fortes. La dernière petite montée est terminée, 10 km, de pure descente, je suis dans mon élément, c’est ce que j’aime descendre. Les écouteurs allumés, la playlist de fin d’Ultra à fond, j’affronte le sentier drôlement trop technique en chantant Unstoppable de Sia. Je rattrape un homme, on se met à faire la course.
Quel genre de fin d’aventure c’est ça? Je fais la course avec un inconnu, jusque dans les rues de Nice. Je le perds finalement, mais je retrouve les foules de touristes, toujours la musique à fond, je cours dans les rues. Les crampes dans les jambes apparaissent, je suis vraiment déshydraté. Plus que deux kilomètres, j’écris à Manue qui m’attend à la plage. Hall of Fame de Script joue dans mes écouteurs, l’ambiance entre mes deux oreilles ne pourrait pas être plus folle. Je traverse le dernier passage piéton, je vois Manue sur le bord de la plage, ce sont mes derniers pas, le dernier effort après 557 km à travers les Alpes. Un high-five de fin d’aventure, l’arrêt de la montre, l’envoi du message de fin sur l’InReach. J’ai enfin terminé, je ne le réalise pas, je ne comprends pas le moment, j’ai simplement soif.
Jour 12: 62.24km / 2257m D+
Quelques jours plus tard, j’ai encore du mal à voir cette aventure dans son entièreté. Une chose est sûre, c’est la gratitude que j’ai envers les personnes ayant pris part à ce projet intense. En particulier ma famille, ma sœur plus que tout, qui m’a accompagnée les 12 jours, à des endroits particulièrement difficiles à atteindre pour me supporter. Pour ça je te dis merci. À ma mère, qui est restée avec Manue pour les cinq premiers jours, c’est précieux de voir sa mère après de longues journées intenses comme les premières journées de l’aventure. Pour ça je te dis merci. À mon frère et mon père, qui m’ont accompagné dans les premières étapes pour me rassurer sur les passages plus compliqués du GR et supporter l’effort. Pour ça je vous dis merci. Et puis plus largement, un gros merci à mes amis qui m’ont écrit pour me supporter, vous ne savez pas ce que peut avoir comme impact un simple gogogo. L’ultra c’est certainement un sport où tu passes la majorité de ton temps seul, mais la façon dont tu t’entoures est aussi importante que ta préparation physique. Je suis choyé de compter dans ma famille et mes amis des personnes aussi formidables. Encore merci de m’avoir permis de prendre ma revanche et de pousser mes limites encore plus loin. Ce n’était certainement pas le dernier de mes défis, mais c’en était un qui me tenait à cœur et qui restera à tout jamais dans ma mémoire.
Ce récit, je l’ai écrit principalement pour me rappeler des moments plus difficiles qui arrivent dans les aventures. Souvent, le cerveau ne garde que le positif, mais c’est important de revoir les difficultés pour comprendre l’ampleur d’un défi de la sorte. J’espère que j’aurai pu vous faire vivre les émotions que j’ai vécues durant ces 12 jours. Au plaisir de se revoir dans un défi plus fou dans le futur.
557km
30 779m d+
120 heures, 27 minutes et 12 secondes sur les jambes
Pierrick Forge
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